Les membres des églises protestantes ont coutume de dire qu'en matière de foi, il faut se référer à la Bible uniquement selon le slogan « sola scriptura » (les Écritures seulement), alors que dans l’Église catholique, une place importante est donnée à ce qu'on appelle la Tradition de l’Église. De quoi s'agit-il ?
1. Qu'est-ce que la Tradition de l’Église ?
Jésus ne nous a pas laissé de livre. Il allait de ville en ville, de village en village pour proclamer la Bonne Nouvelle (Lc 8, 1). En montant au ciel, il n'a pas commandé aux disciples d'écrire des livres. Il leur dit plutôt : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 16) et c'est ce qu'ils firent. C'est bien plus tard que les premiers écrits ont commencé à apparaître.
Alors, que dire des premiers chrétiens qui vivaient sans tout ou une partie du Nouveau Testament ? Comment avaient-ils accès à la Parole de Dieu, si l'on doit s'en ternir à la « sola scriptura », c'est-à-dire, que seules les Écritures comptent pour connaître l'enseignement de Jésus-Christ ? Cela signifie-t-il que les premiers chrétiens, qui ont entendu Jésus prêcher et qui n'avaient aucun document du Nouveau Testament ou seulement une partie n'étaient pas de vrais chrétiens ? Ils l'étaient bien pourtant, puisque Jésus était la Parole vivante au milieu d'eux.
Avant donc que les livres du Nouveau Testament ne soient écrits et regroupés en un document tel que nous l'avons aujourd'hui, les chrétiens ont vécu de la « Tradition apostolique » (Tradition avec T majuscule), c'est-à-dire, de la Parole de Dieu prêchée par Jésus, vécue et transmise de génération en génération.
Même après la constitution définitive de la liste des livres du Nouveau Testament par le Pape Damase Ier en 382, la transmission de la foi a été surtout faite par voie orale. En effet, avant l'invention de l'imprimerie en 1450, c'était très coûteux pour un chrétien de posséder la Bible qui d'ailleurs était recopiée à la main. De plus, l'analphabétisme était très répandu. Il est donc historiquement attesté que les livres de la Bible n'ont jamais été considérés comme une source d'autorité de la foi au-dessus de la Tradition, contrairement à ce que prônent les Réformateurs protestants à partir de 1517.
2. Tout n'a pas été écrit
Tout l'enseignement de Jésus n'a pas été mis par écrit. Saint Jean finit son évangile en disant : « Il y a encore bien d'autres choses qu'a faites Jésus. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu'on en écrirait » (Jn 21, 25). C'est pourquoi il dit dans deux de ses lettres : « Ayant beaucoup de choses à vous écrire, j'ai préféré ne pas le faire avec du papier et de l'encre. Mais j'espère vous rejoindre et vous parler de vive voix, afin que notre joie soit parfaite » (2 Jn 12 ; 3 Jn 13-14). Ainsi donc, lorsque les livres du Nouveau Testament ont commencé à être rédigés, les communautés chrétiennes avaient la Parole de Dieu à travers les écrits, et à travers les instructions orales reçues des Apôtres. Et il n'y a pas de raison pour les chrétiens d'arrêter de suivre les prescriptions reçues oralement et ne garder que ce qui est écrit dès la mort des Apôtres.
Saint Paul témoigne de l’existence d’une tradition qu’il a lui-même reçue oralement concernant des points très importants de la foi chrétienne et qu’il se charge de transmettre aux communautés auxquelles il écrit :
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« Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés, qu'il a été mis au tombeau, qu'il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures ... » (1 Co 15, 3-4) ;
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« Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et après avoir rendu grâce, le rompit et dit : ceci est mon corps, qui est pour vous, faites ceci en mémoire de moi. De même, après le repas, il prit la coupe, en disant : Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, chaque fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi » (1 Co 11, 23-26).
Ensuite, saint Paul souligne l'importance de cette Tradition qu'il faut garder précieusement et relève qu'elle comporte une partie écrite et une partie non écrite :
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« Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions comme je vous les ai transmises » (1 Co 11, 2) ;
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« Dès lors, frères, tenez bon, gardez fermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vive voix ou par lettre » (2 Th 2, 15) ;
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« Or nous vous prescrivons, frères, au nom du Seigneur Jésus Christ, de vous tenir à distance de tout frère qui mène une vie désordonnée et ne se conforme pas à la tradition que vous avez reçue de nous » (2 Th 3, 6).
Le Nouveau Testament a entièrement été écrit en grec. Le mot grec traduit ici par « tradition » est « παράδοσις » (paradosis), employé 13 fois dans le Nouveau Testament. Il est à souligner que les bibles protestantes (Louis Second, etc.) traduisent à dessein ce mot par « instruction » ou « enseignement » dans les 3 versets ci-dessus, peut-être parce qu'il s'agit de la Tradition apostolique dont parle l’Église catholique. Mais elles maintiennent la traduction « tradition » dans les autres versets, qui parlent de traditions humaines : Mt 15, 2 ; Mt 15, 3 ; Mt 15, 6 ; Mc 7, 3 ; Mc 7, 5 ; Mc 7, 8 ; Mc 7, 9 ; Mc 7, 13 ; Ga 1, 14 ; Col 2, 8.
Et même si les bibles protestantes traduisent le terme grec « παράδοσις » (paradosis) par « instruction » ou « enseignement » quand le contexte renvoie à la Tradition apostolique, il n’empêche qu’il s’agit toujours d’un enseignement fait oralement et transmis encore oralement par les apôtres et les premiers chrétiens, enseignement dont une partie seulement a été mise par écrit dans le Nouveau Testament. En effet, dans 1 Co 15, 3-4 et 1 Co 11, 23-26 cités ci-dessus, l’Apôtre Paul parle toujours de transmission de quelque chose qu’il a reçu. Il dit : « j'ai transmis » (en grec : παρέδωκα : parédoka) qui a la même racine que « παράδοσις » (paradosis).
3. Lien entre la Tradition et les Saintes Écritures
La Tradition apostolique a été gardée jalousement depuis les premiers siècles jusqu'à nos jours, selon la volonté exprimée par les Apôtres : « Très chers, j'avais un grand désir de vous écrire au sujet de notre salut commun, et j'ai été contraint de le faire, afin de vous exhorter à combattre pour la foi transmise (en grec : παραδοθείσῃ : paradotheisè ; même racine que paradosis) aux saints une fois pour toutes » (Jude 3). La foi chrétienne a donc été transmise une fois pour toute par Jésus-Christ et il n'y a pas de raison de penser que le Christ n'a pas pu maintenir cette foi-là dans son Église.
Au fur et à mesure que les livres du Nouveau Testament étaient écrits, se sont glissés d'autres écrits douteux parce qu'ils contredisaient la foi reçue. C'est en l'an 382 que le Pape Damase Ier rédige un décret fixant l'actuelle liste des livres constituant le Nouveau Testament. Les livres qui ont été retenus dans le Nouveau Testament sont ceux qui étaient conformes à la Tradition de l’Église, cette foi vivante des premiers chrétiens. Les livres qui n'étaient pas conformes ont été écartés.
Ainsi donc, les Saintes Écritures et la Tradition sont très liées. Elles constituent l'unique « dépôt de la foi » (2 Tm 1, 14), car « il n'y a qu'une seule foi » (Ep 4, 5) qui a été enseignée par Jésus-Christ et transmise de génération en génération (2 Tm 2, 2). Dès lors, on fait fausse route quand on cherche à interpréter la Bible pour en déduire un enseignement différent de cette foi à laquelle les chrétiens ont toujours cru, ou bien qu'on rejette certains aspects de la Tradition qui ne sont pas clairement énoncés dans la Bible.
Nous avons accès à la Tradition de l’Église notamment à travers les écrits des chrétiens des premiers siècles. On y apprend que les chrétiens ont toujours cru au purgatoire, qu'ils ont toujours prié les saints, principalement la Vierge Marie, qu'ils croyaient que la sainte Communion était réellement le Corps et le Sang du Christ, etc. Il n'y a aucune raison de rejeter ces doctrines aujourd'hui.
Or, pour refuser ces doctrines, les fondateurs du protestantisme ont commencé par rejeter 7 livres de l'Ancien Testament, les deutérocanoniques (Tobie, Judith, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Ecclésiastique (ou Siracide) et Baruch), considérés comme divinement inspirés par les catholiques et dans lesquelles ces croyances ont des appuis scripturaires. Ils avancèrent ensuite l'idée de la « sola scriptura » (seules les Écritures comptent pour déterminer la doctrine de la foi) pour écarter également la Tradition de l’Église.
Lorsque, dans les milieux protestants, on clame que seules les Écritures ont autorité en matière de foi, il faut se demander de quelles Écritures il s'agit. Car, pour tous les livres de la Bible, nous ne disposons pas des orignaux écrits par leurs auteurs. Tous ces livres ont été recopiés à la main pendant des siècles sur du papyrus ou du parchemin qui se détérioraient au fil du temps, jusqu'à l'invention de l'imprimerie en 1450. Nous ne disposons donc que des recopies faites sur la base de copies, elles-mêmes faites à partir d'autres copies. Et force est de constater qu'il y a des différences entre les manuscrits découverts jusque là. Ces différences sont dues à des erreurs de copie, ou bien dans le choix des copistes d'harmoniser certains passages, de faciliter la lecture, etc. La plupart de ces différences n'affectent pas l'enseignement de l’Église, même si certaines différences semblent contredire la doctrine. La « critique textuelle » est une discipline très difficile qui vise à reconstituer le texte le plus proche de l'original en comparant les manuscrits et en tenant compte de leur datation.
Cela dit, dans la perspective protestante, quelles sont les Écritures qui devraient être considérées comme seules sources d'autorité pour établir la doctrine de la foi ? Car de plus, aucun livre de la Bible ne contient la liste des livres à considérer comme inspirés par Dieu. Sans la Tradition de l’Église qui a précédé la rédaction des livres du Nouveau Testament, comment être certain que les Écritures que nous avons ainsi que l'interprétation qui en est faite sont sûres et fiables ? Si Dieu a pu préserver la Tradition manuscrite (Mt 5, 18), pourquoi ne préserverait-il pas la Tradition vivante, transmise oralement, et qui est d'une grande nécessité pour authentifier les textes manuscrits (Mt 24, 35) ?
En définitive, « la sainte Tradition et la Sainte Écriture sont donc reliées et communiquent étroitement entre elles. Car toutes deux, jaillissant de la même source divine, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin. En effet, la Sainte Écriture est la Parole de Dieu en tant que, sous l’inspiration de l’Esprit divin, elle est consignée par écrit ; quant à la sainte Tradition, elle porte la Parole de Dieu, confiée par le Christ Seigneur et par l’Esprit Saint aux Apôtres, et la transmet intégralement à leurs successeurs, pour que, illuminés par l’Esprit de vérité, en la prêchant, ils la gardent, l’exposent et la répandent avec fidélité : il en résulte que l’Église ne tire pas de la seule Écriture Sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation. C’est pourquoi l’une et l’autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d’amour et de respect » (Concile Vatican II, Constitution dogmatique Verbum Dei sur la Révélation divine, n°9).
4. L'intention des auteurs des livres du Nouveau Testament
Il est aussi à noter qu'en écrivant, les auteurs des livres du Nouveau Testament n'avaient pas l'intention de constituer un Nouveau Testament Parole de Dieu comme nous l'avons aujourd'hui, en témoignent certains détails qui auraient été probablement omis, par exemple :
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« En venant, apporte le manteau que j'ai laissé à Troas chez Carpos, ainsi que les livres, surtout les parchemins » (2 Tm 4, 13) ;
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« Saluez Prisca et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus » (Rm 16, 3. Voir la litanie des salutations dans les versets suivants) ;
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« Cesse de ne boire que de l'eau. Prends un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquents malaises » (1 Tm 5, 23).
Les auteurs des livres du Nouveau Testament n'avaient pas non plus l'intention que leurs écrits soient la seule source d'autorité en matière de foi et remplacent la Tradition vivante déjà vécue.
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Saint Jean dit qu'il a écrit afin que nous croyons que Jésus est le Christ et que nous soyons sauvés (Jn 20, 31) ;
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saint Luc adresse son évangile à Théophile : « pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus » (Lc 1, 4) ;
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saint Paul écrit aux Corinthiens parce qu'il a appris qu'il y a parmi eux des divisions (1 Co 1, 11-13) ;
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on sait aussi que les problèmes étaient gérés de vive voix (Ac 15, 27 ; 1 Co 4, 19-21).
De plus, chaque fois que dans le Nouveau Testament, on parle des « Écritures », il s'agit des livres de l'Ancien Testament (2 Tm 3, 15-17). Le Nouveau Testament n'était pas encore constitué. La seule exception est 1 Tm 5, 18 qui cite Lc 10, 7 (« l'ouvrier mérite son salaire ») comme Écriture.
Par conséquent, la doctrine de la « sola scriptura » est étrangère à la mentalité des Apôtres et n'est pas enseignée par la Bible elle-même. C'est une doctrine humaine qui a fait son apparition dans l'histoire à partir du XIVème siècle et s'est répandue au XVIème siècle avec l'avènement du protestantisme.
Abbé Kizito NIKIEMA, prêtre de l'archidiocèse de Ouagadougou (Burkina Faso)
- Cet article est extrait de son livre : La foi catholique face aux doctrines protestantes
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