Dieu nous a donné la Bible, mais en passant par des hommes. En particulier, le rôle de l’Église catholique dans la définition de la liste des livres qui composent la Bible est historiquement indéniable. Affirmer cela semble un crime de lèse majesté dans le milieu protestant, qui voit simplement une action exclusive de l'Esprit Saint.
1. Histoire de la formation du canon du Nouveau Testament
On appelle « canon » du Nouveau Testament, la liste des livres considérés comme inspirés par Dieu constituant le Nouveau Testament. La constitution du canon de l'Ancien Testament est discutée dans cet autre article : Pourquoi une différence entre la Bible catholique et la protestante ? La question des deutérocanoniques
Jésus parcourait les villes et les villages pour annoncer la Bonne Nouvelle (Mt 9, 35). En montant au ciel, il a envoyé les disciples dans le monde entier pour faire de même (Mc 16, 16 ; Mt 28, 19-20), ce qu'ils firent avec empressement. L'évangélisation était orale. C'est bien plus tard que les Apôtres ont songé à mettre leur enseignement par écrit.
Saint Luc, au début de son évangile et au début des Actes des Apôtres, dit qu'il s'adresse à quelqu'un du nom de Théophile (à moins qu'il s'agisse d'un anonyme, car ce nom signifie en grec « ami de Dieu »). Les lettres de saint Paul étaient adressées à des individus ou à des chrétiens d'une localité donnée. Ces communautés avaient l'habitude de recopier les lettres reçues et de les envoyer à d'autres communautés. Lorsqu'on se rendait compte qu'il y avait dans une autre communauté une lettre d'un Apôtre, on en demandait la copie. Saint Paul lui-même l'a recommandé aux Colossiens : « Quand cette lettre aura été lue chez vous, faites qu'on la lise aussi dans l’Église des Laodicéens, et procurez-vous celle de Laodicée, pour la lire à votre tour » (Col 4, 15). C'est ainsi que les livres du Nouveau Testament se sont répandus dans les différentes communautés chrétiennes.
Un problème s'est posé, lorsque les communautés chrétiennes se sont retrouvées avec des écrits dont elles doutaient qu'elles proviennent des Apôtres ou de leurs disciples, ou bien, dont le contenu semblait remettre en cause la foi reçue et vécue jusque là. L'authenticité des livres a été discutée par des Pères de l’Église comme saint Jérôme, saint Augustin, saint Athanase, qui n'avaient pas le même point de vue. Il fallait s'en référer au Pape pour que la situation soit tranchée. La liste des livres qui allaient constituer le Nouveau Testament (liste encore appelée le canon du Nouveau Testament) fut établie par le Pape Damase Ier en 382 en essayant de respecter les trois critères suivants :
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le livre doit avoir été écrit par un Apôtre, ou par le disciple direct d'un apôtre ;
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le livre doit être utilisé par la majorité des communautés chrétiennes ;
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le contenu du livre est conforme à la foi catholique.
Ce dernier point met en relief l'importance de la Tradition vivante de l’Église discutée dans cet article : La Bible ou la Tradition de l’Église, laquelle croire ?
2. Le canon du Nouveau Testament de la Bible protestante
À partir de 1517, Martin Luther, un moine allemand, commença un mouvement de remise en question des enseignements de l’Église catholique qui aboutit à la fondation des églises protestantes. Luther s'attacha particulièrement à la doctrine de la « sola scriptura » (seule les Écritures comptent pour justifier un aspect de la foi), la « sola fidei » (seule la foi sauve, indépendamment des œuvres), le rejet du purgatoire, de l'intercession des saints, etc.
Cela l'a conduit à examiner les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament et à suspecter ceux qui n'allaient pas dans le sens des doctrines qu'il défendait. Voici ce qu'il a écrit (A. J. Holman, Works Of Martin Luther Translated With Introductions and Notes, Volume VI, by Company and The Castle Press, 1932, cité dans : Martin Luther, Prefaces to the books of the Bible, Everyone's Luther.) :
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Introduction au Nouveau Testament (1522) : « L'évangile de Jean et sa première lettre, les lettres de Paul et tout particulièrement les épîtres aux Romains, aux Galates et aux Éphésiens, ainsi que la première lettre de Pierre, voilà les livres qui te montrent le Christ et qui t'enseignent tout ce dont tu as besoin et qu'il t'est utile de savoir même si tu ne devais jamais voir ni entendre aucun autre livre ni enseignement. C'est pourquoi la lettre de Jacques est, par comparaison avec ces livres, une vraie épître de paille, car elle n'a aucun caractère évangélique » ;
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Préface à la lettre aux Hébreux : « Jusqu'ici, nous avions les bons livres principaux certains du Nouveau Testament. Les quatre livres qui suivent [Hébreux, Jacques, Jude, Apocalypse] avaient une différente réputation depuis les temps anciens » ;
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Préface à l'épître de Jude : « Bien que je loue le livre, c'est une épître qui n'a pas besoin d'être comptée parmi les livres principaux qui doivent poser le fondement de la foi »;
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Préface à l'Apocalypse : « Je dis ce que je ressens. Il me manque plus d'une chose dans ce livre, et cela fait que je le considère comme ni apostolique ni prophétique... Mon esprit ne peut pas s'intégrer dans ce livre. Il y a une raison suffisante pour que je n'y accorde pas une grande estime : le Christ n'y est ni enseigné ni connu. Pourtant, enseigner Christ est la chose qu'un apôtre est tenu de faire par-dessus tout comme il est dit dans Actes 1,8 : "Vous serez mes témoins." C'est pourquoi je m'en tiens aux livres qui me donnent le Christ, clairement et purement. »
En conséquence, Luther a inclu les livres dits « deutérocanoniques » (Tobie, Judith, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Ecclésiastique (ou Siracide) et Baruch) dans sa traduction allemande de la Bible après les autres livres de l'Ancien Testament en les appelant « apocryphes », c'est-à-dire, des livres qui ne sont pas tenus pour égaux à la sainte Écriture, mais qui pourtant sont utiles et bons à lire ». Ce n'est qu'en 1825 que la British and Foreign Bible Society choisit de ne plus imprimer les deutérocanoniques dans les bibles protestantes.
Pour ce qui est du Nouveau Testament, Luther place les livres suspects (Hébreux, Jacques, Jude, Apocalypse) également à la fin du Nouveau Testament. Mais force est de constater qu'aujourd'hui, les protestants ne suivent pas le canon de Luther pour le Nouveau Testament. Ce sont les 27 livres déclarés comme divinement inspirés par l’Église catholique au IVème siècle pour le Nouveau Testament qui sont aussi considérés comme canoniques par les protestants.
Problématique sur l'origine du canon du Nouveau Testament
Pour les catholiques, « les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (cf. Jn 20, 31 ; 2 Tm 3, 16 ; 2 P 1, 19-21 ; 3, 15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même » (Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine, n°11). Néanmoins, bien que les livres de la Bible aient Dieu pour auteur, il a fallu l'autorité de l’Église pour déterminer quels livres devraient être considérés comme étant divinement inspirés.
Mais cela est un peu gênant dans le monde protestant. La confession de foi de Westminster (1649) par exemple dit au paragraphe 1.5 : « Notre conviction et notre certitude quant à l'infaillible vérité et à la divine autorité du texte ne proviennent que de l’œuvre intérieure du Saint-Esprit portant témoignage, et avec la Parole, dans nos cœurs (1 Jn 2, 20.27 ; Jn 16,13-14 ; 1 Co 2, 10-12 ; Is 59, 21) ».
Si l’œuvre intérieure de l'Esprit Saint est suffisante pour reconnaître facilement le canon du Nouveau Testament, pourquoi ce canon a-t-il été discuté pendant quatre siècles par les premiers chrétiens, et même par de grandes figures comme saint Augustin, saint Jérôme et saint Athanase qui se sont finalement soumis à l'autorité de l’Église catholique ? Pourquoi des livres qui étaient largement répandus dans les communautés chrétiennes comme le Pasteur d'Hermas n'ont pas été retenus dans le Nouveau Testament ? Pourquoi Luther, fondateur du protestantisme s'est-il trompé sur le canon du Nouveau Testament au XIème siècle ? En conséquence, en adoptant le Nouveau Testament catholique, les protestants reconnaissent tacitement que les catholiques ont le bon canon du Nouveau Testament établi depuis le IVème siècle.
Si l’Église catholique est faillible et ne fait pas autorité, il n'y a pas de raison de croire sans autre forme de procès que la liste actuelle des livres du Nouveau Testament soit celle voulue par Dieu. Il faudrait alors que chacun réexamine tous les livres qui ont été écartés pour voir si certains d'entre eux ne doivent pas être introduits dans le Nouveau Testament, et vérifier si des livres du Nouveau Testament actuel ne sont pas à déclasser, comme l'a fait Luther.
Si l’Église catholique est généralement faillible en matière de foi, qu'est-ce qui prouve alors qu'elle ne s'est pas trompée en établissant le canon du Nouveau Testament ? Et si Dieu, miraculeusement, est intervenu pour que l’Église catholique ne se soit pas trompée en fixant le canon du Nouveau Testament, pourquoi Dieu, miraculeusement, ne peut-il pas faire en sorte que les autres enseignements de l’Église soient exempts d'erreurs ?
Certains veulent faire croire que le processus de formation du Nouveau Testament serait semblable à celui de l'Ancien Testament, alors que les notables Juifs qui avaient défini le canon de l'Ancien Testament n'étaient pas infaillibles, car Jésus leur reprochait leur conduite. Cependant, il faut d'abord remarquer qu'au temps de Jésus, les divers groupes Juifs (Pharisiens, Esséniens, Sadducéens, etc.) n'avaient pas le même Ancien Testament. De plus, l'infaillibilité en matière de doctrine ne signifie pas que les personnes concernées ne commettent pas de péché dans la vie courante. Jésus même demande à ses auditeurs de suivre leur enseignement sur la Loi de Moïse qui est infaillible : « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas » (Mt 23, 2-3).
Historiquement, c'est la foi chrétienne vécue, connue sous le nom de « Tradition de l’Église » qui a donné naissance au Nouveau Testament, et non l'inverse. On ne peut donc pas partir des Écritures pour rejeter cette foi-là que Jésus lui-même nous a transmise une fois pour toutes (Jude 3).
Abbé Kizito NIKIEMA, prêtre de l'archidiocèse de Ouagadougou (Burkina Faso)
- Cet article est extrait de son livre : La foi catholique face aux doctrines protestantes
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