« Tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaines, voilà ce qui doit vous préoccuper » (Ep 4, 8).
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Celui qui dénonce des unions indignes suscite une grande nervosité à son encontre. C’est le cas de Jean le Baptiste qui voyait d’un mauvais œil qu’Hérode prît comme autre épouse Hérodiade, la femme de Philippe son frère. Ayant dénoncé cela, Hérode l’avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner. Et Jean-Baptiste eût la tête coupée et mise sur un plat, par la ruse de … la même Hérodiade (cf. Mt 14, 1-12).
Toutefois, à la suite du Christ, et ce depuis deux mille ans, l’Église ne cesse de condamner la polygamie, même si elle a eu cours à un certain moment dans l’Ancien Testament à la suite du péché. La polygamie dans l’Église est comprise sous ses deux formes : plusieurs femmes pour un homme (polygynie), et plusieurs hommes pour une femme (polyandrie).
L’Ancien Testament et la polygamie
La Bible commence par deux récits imagés de la création. Dans le second (Gn 2, 4b et suivants), les hagiographes (écrivains de l’Écriture Sainte) mettent en relief la dépendance entre l’homme et la femme et le dessein originel de Dieu concernant le mariage :
« Yahvé Dieu dit : "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie." Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait : chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie. Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria : "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci !" C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 18-24).
Plus tard intervient le péché à partir duquel on voit apparaître le premier couple polygame : « Lamek prit deux femmes : le nom de la première était Ada et le nom de la seconde Cilla » (Gn 4, 19).
Dans l’Ancien Testament, plusieurs personnages juifs, aimés de Dieu, ont eu plusieurs femmes, sans que cela ne pose problème. Cela est dû au fait que Dieu s’est révélé progressivement et à ce moment là, la loi de la monogamie n’était pas encore de rigueur. On peut illustrer cela par l’exemple de David et de son fils Salomon : « Après son arrivée d'Hébron, David prit encore des concubines et des femmes à Jérusalem, et il lui naquit des fils et des filles. » (2 S 5, 13) … « David rentra dans son palais à Jérusalem. Le roi prit les dix concubines qu'il avait laissées pour garder le palais et les mit sous surveillance » (2 S 20, 3). « Le roi Salomon aima beaucoup de femmes étrangères - outre la fille de Pharaon - : des Moabites, des Ammonites, des Edomites, des Sidoniennes, des Hittites, de ces peuples dont Yahvé avait dit aux Israélites : "Vous n'irez pas chez eux et ils ne viendront pas chez vous ; sûrement ils détourneraient vos cœurs vers leurs dieux." Mais Salomon s'attacha à elles par amour ; il eut 700 épouses de rang princier et 300 concubines. » (1 R 1-3 ; ce sont bien entendu des nombres symboliques).
L’enseignement de Jésus et des disciples
A la suite d’une question sur le divorce, le Christ Jésus donne en même temps un enseignement sur la polygamie :
« Des Pharisiens s'approchèrent de Jésus et lui dirent, pour le mettre à l'épreuve : "Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ?" Il répondit : "N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme, et qu'il a dit : Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer" – "Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie" – "C'est, leur dit-il, en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l'origine il n'en fut pas ainsi. Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme - pas pour "prostitution" - et en épouse une autre, commet un adultère." (Mt 19, 3-9 ; "prostitution" désigne ici les unions illégitimes)
Ainsi, selon l’explication de Jésus, la Loi donnée à Moïse visait à protéger la femme contre l'arbitraire d'une domination par l'homme, en raison de leur « dureté de cœur ». Ces paroles étaient tellement choquantes pour la mentalité de l’époque si bien que les disciples dirent à Jésus : « Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier. » (Mt 19, 10). Jésus profite de cela pour leur parler du célibat consacré à Dieu (prêtre, religieux ou religieuse) que tous ne peuvent comprendre (Mt 19, 11ss).
Plus tard, les disciples donnèrent de bons conseils matrimoniaux : « vous pareillement, les maris, menez la vie commune avec compréhension, comme auprès d'un être plus fragile, la femme ; accordez-lui sa part d'honneur, comme cohéritière de la grâce de Vie. Ainsi vos prières ne seront pas entravées » (1 P 3, 7) ... « Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari » (Ep 5, 33).
Dans les premiers temps de l’Église, les évêques, les prêtres et les diacres étaient des hommes mariés, et aucun polygame ne pouvait prétendre à des fonctions religieuses : « Aussi faut-il que l'épiscope soit irréprochable, mari d'une seule femme, qu'il soit sobre, pondéré, courtois, hospitalier, apte à l'enseignement. Les diacres doivent être maris d'une seule femme, savoir bien gouverner leurs enfants et leur propre maison » (1 Tm 3, 2.12). Plus tard, le célibat fut la règle dans l’Église catholique latine en raison de Mt 19, 11ss cité ci-dessus.
La voix de l’Église
A la suite de Jésus et des Apôtres, l’Église, ayant à sa tête le Pape, successeur de saint Pierre Apôtre, ne cesse de faire retentir que le mariage, tel qu’il est voulu par Dieu, est celui entre un homme et une femme, pour le meilleur et pour le pire.
« La dignité de cette institution ne brille pourtant pas partout du même éclat puisqu'elle est ternie par la polygamie, l'épidémie du divorce, l'amour soi-disant libre, ou d'autres déformations. De plus, l'amour conjugal est trop souvent profané par l'égoïsme, l'hédonisme et par des pratiques illicites entravant la génération. […] Et pourtant, un fait montre bien la vigueur et la solidité de l'institution matrimoniale et familiale : les transformations profondes de la société contemporaine, malgré les difficultés qu'elles provoquent, font très souvent apparaître, et de diverses façons, la nature véritable de cette institution. C'est pourquoi le Concile, […] se propose d'éclairer et d'encourager les chrétiens, ainsi que tous ceux qui s'efforcent de sauvegarder et de promouvoir la dignité originelle et la valeur privilégiée et sacrée de l'état de mariage » (Concile Vatican II, Gaudium et spes, n° 42).
En effet, « la première communion est celle qui s'établit et se développe entre les époux : en raison du pacte d'amour conjugal, l'homme et la femme "ne sont plus deux mais une seule chair" et sont appelés à grandir sans cesse dans leur communion à travers la fidélité quotidienne à la promesse du don mutuel total que comporte le mariage. Cette communion conjugale plonge ses racines dans la complémentarité naturelle qui existe entre l'homme et la femme, et se nourrit grâce à la volonté personnelle des époux de partager la totalité de leur projet de vie, ce qu'ils ont et ce qu'ils sont: en cela, une telle communion est le fruit et le signe d'une exigence profondément humaine. […] La polygamie s'oppose radicalement à une telle communion : elle nie en effet de façon directe le dessein de Dieu tel qu'il nous a été révélé au commencement, elle est contraire à l'égale dignité personnelle de la femme et de l'homme, lesquels dans le mariage se donnent dans un amour total qui, de ce fait même, est unique et exclusif » (Pape Jean-Paul II, Familiaris consortio, n° 19).
Or, certains prétendent qu’il vaut mieux être polygame plutôt que d’être monogame et d’avoir des relations hors mariage, comme s’il était assuré que les polygames n’entretiennent pas de liaisons extraconjugales. De toute manière, le sixième commandement et le Nouveau Testament proscrivent absolument l'adultère qui est une injustice. Celui qui le commet manque à ses engagements. Il blesse le signe de l'Alliance qu'est le lien matrimonial, lèse le droit de l'autre conjoint et porte atteinte à l'institution du mariage, en violant le contrat qui le fonde. Il compromet le bien de la génération humaine et des enfants qui ont besoin de l'union stable des parents. Le Christ condamne l'adultère même de simple désir : « Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas l'adultère. Eh bien ! Moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l'adultère avec elle » (Mt 5, 27-28 ; cf. Catéchisme de l'Église Catholique, n° 2380-2381).
En outre, on peut bien distribuer de l’argent ou des biens matériels équitablement entre plusieurs personnes. Quant à l’amour entre conjoints, il doit être exclusif ; il est fallacieux de penser que l’amour peut être équitablement partagé entre plusieurs épouses, chacune étant unique en son genre avec une sensibilité qui lui est propre. En dignité, la femme n’est pas une demi-personne, ni un tiers, un quart ou une fraction moindre de personne, de sorte qu’un homme puisse contracter mariage avec deux, trois, quatre ou un nombre plus grand de femmes, et généralement sans le consentement de ces dernières.
C’est pourquoi, dans les pays où la loi civile ne reconnaît pas la pleine dignité de la femme dans le mariage en autorisant la polygamie, les chrétiens sont tenus de choisir l’option monogamie lorsqu’ils se marient à la marie. Tous, hommes et femmes, ne naissent-ils pas libres et égaux devant la loi ? L’existence de l’option polygamie ne donne-t-elle pas plus de droits aux hommes qui peuvent avoir plusieurs épouses alors que les femmes ne peuvent jamais avoir plusieurs maris ?
Nous n’avons pas à juger nos grands parents qui, vivant sans la lumière de l’Évangile et selon les nécessités sociales de leur époque pratiquaient la polygamie. C’est pourquoi, l’Église « comprend le drame de celui qui, désireux de se convertir à l'Évangile, se voit obligé de répudier une ou plusieurs femmes avec lesquelles il a partagé des années de vie conjugale. Cependant la polygamie ne s'accorde pas à la loi morale. Elle s'oppose radicalement à la communion conjugale […] Le chrétien ancien polygame est gravement tenu en justice d'honorer les obligations contractées à l'égard de ses anciennes femmes et de ses enfants » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 2387).
Le chrétien qui prend plusieurs épouses et la chrétienne qui devient l’épouse d’un homme déjà marié, deviennent immédiatement par ce fait de polygamie hors de l’Église, considérés comme des « pécheurs publics », indignes de recevoir la Sainte Communion, le sacrement de la réconciliation, indignes de sépulture chrétienne, etc. Ils demeurent aimés de Dieu qui n’attend qu’ils reviennent promptement à lui en « régularisant » leur situation.
Par ailleurs, et pour conclure, des études ont montré que la polygamie est un facteur supplémentaire de propagation des maladies sexuellement transmissibles et du SIDA (cf. Père François SEDGO, Polygamie, lévirat et SIDA). Autrefois, il était illogique qu’un homme puisse s’occuper de la veuve de son frère défunt (avec ses enfants) sans l’avoir pour femme. Suite à l’apparition du VIH/SIDA, la diminution de cette pratique (lévirat) qui était une nécessité sociale montre bien qu’il est possible d’agir autrement.