Dieu et le coronavirus

« Quel est d'entre vous l'homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? Ou encore, s'il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient. » (Mt 7, 9-11)

Cette page biblique révèle que Dieu ne désire et ne donne seulement que de bonnes choses à ses enfants. Cependant, au regard de l’évolution de la pandémie dans le monde, bon nombre de chrétiens se posent des questions sur l’existence réelle de cette bonté de Dieu. La foi en l’amour de Dieu pour les hommes semble être se heurter à la persistance et aux dégâts que cause la maladie du coronavirus. Devant le du ravage du Covid 19 surtout en Occident, certaines personnes sont perdues, angoissée et d’autres sont révoltées, car elles ne comprennent plus rien de la bonté, de l’amour et du plan de Dieu.

Pour répondre à ces préoccupations, il semble important de redécouvrir le sens chrétien d’une part, des catastrophes naturelles, et d’autre part, celui de la souffrance et de la maladie.

Le plan de Dieu dans les catastrophes : le cas du massacre des Galiléens par Pilate et la chute de la tour de Siloé

L’Evangile de saint Luc (13, 1-9) nous rapporte deux faits. Le premier concerne le massacre de Galiléens par un responsable politique. Ceux-ci auraient suscité des troubles à l’ordre public à Jérusalem et Pilate les aurait fait massacrer, au moment d’une cérémonie de sacrifice, mêlant ainsi leur sang à celui des victimes sacrificielles. Ce fait est rapporté seulement par Saint Luc dans les évangiles et semble très probable car les mouvements de foules ou de rébellions étaient fréquentes à cette époque et étaient durement réprimés par les Romains.

Le deuxième fait concerne la chute de la tour de Siloé. Une tour des remparts de la ville, près de la piscine de Siloé, se serait subitement écroulée et aurait enseveli dix-huit habitants de la ville sous ses ruines.

Dans les deux faits, les Juifs voyaient une punition divine car pour eux, une calamité est toujours un châtiment divin qui atteint les coupables et épargne les innocents (cf Jb 4, 7 ; Jonas 9, 2). Jésus conteste cette façon de penser et propose une autre lecture des faits. Pour lui, c’est une erreur de penser que Dieu punit les plus coupables. Ces Galiléens n’étaient pas plus coupables que les autres. On peut même être atteint par une catastrophe sans être coupable de quoi que ce soit. C’est cette même lecture qu’il fait des deux événements, dont le deuxième représente un accident ou une catastrophe naturelle.

Dans l’un ou l’autre cas, Jésus appelle à ne pas chercher des coupables ou des bourreaux dans l’avènement d’une catastrophe. Certes, dans le premier fait, la volonté et la méchanceté de l’homme peuvent être évoquée ; mais dans le second fait, la responsabilité humaine n’y est pas engagée, du moins dans une première évaluation du fait, car un approfondissement des causes lointaines peut révéler la négligence ou l’incompétence des bâtisseurs de la tour ou encore l’imprudence de ceux qui étaient dans la tour. Jésus affirme, au fond, que les survivants et les victimes des catastrophes sont également coupables à cause de leur état de pécheurs. Son propos dans l’ensemble du passage biblique n’est pas de donner une réponse au problème du mal mais d’inviter ses interlocuteurs à la conversion. Les deux types de mort brutale décrits dans les faits servent donc d’une part à corriger la pensée et l’opinion erronée selon laquelle les drames et les accidents sont des châtiments divins, et d’autre part, à avertir les bien-pensants qui se croient souvent innocents.

Pour Jésus, les maux physiques ne sont pas des châtiments divins, mais plutôt des occasions pour faire pénitence et changer de vie. Ils sont aussi une épreuve salutaire, faisant progresser l’âme dans la vertu. Dieu ne punit pas ses enfants, bien que les actes des hommes puissent avoir des conséquences néfastes sur eux-mêmes. Il est donc imprudent de vouloir déchiffrer les secrets de la Providence en termes de malheurs prévus par Dieu qui devront s’abattre irrémédiablement sur l’humanité au temps fixé. C’est pourquoi le chrétien ne doit pas interpréter le sort des malades et des mourants atteints du Covid-19 comme la conséquence de leur culpabilité individuelle ou de celle des hommes, ni accuser Dieu d’être la cause de cette pandémie. Dieu ne nourrit pas un plan machiavélique à travers la pandémie du coronavirus. Le Covid-19, à l’instar des deux faits bibliques, est à considérer comme un pressant appel à toute l’humanité à changer de vie et à reprendre la bonne direction. 

2. Le plan de Dieu dans la maladie et la souffrance

La maladie, signe de la fragilité humaine

La maladie et la souffrance sont avant tout des signes révélateurs de la limite et de la fragilité de l’homme. Elles mettent en exergue la nature réelle de l’homme : un être fini, impuissant, mortel, une simple créature, une fumée dans le vent. Le Covid 19 vient donc rappeler à l’homme ce qu’il est réellement.

 

La maladie : châtiment de Dieu ou appel à la conversion ?

Selon une certaine pensée, la maladie peut être mise en relation avec le péché. La Bible ne s’oppose pas à cette manière de comprendre la maladie en rapport avec le péché. En effet, l’Ancien Testament atteste à plusieurs endroits que la maladie est le signe de la colère de Dieu (cf Ex 9, 1-12). Cependant, cette signification est à comprendre dans le cadre de l’Alliance, c’est-à-dire de l’amitié et de la relation intime entre Dieu et son peuple. Dans ce sens, la maladie semble être la conséquence de l’infidélité du peuple, de la transgression de Loi, du non-respect des clauses de l’Alliance (cf Dt 28, 21s .27ss.35). Le peuple accablé par la maladie doit donc prendre conscience de son état de pécheur et demander pardon pour ses péchés. C’est cette idée qui traverse les psaumes de supplication quand l’homme formule sa demande de guérison en commençant par l’aveu de ses péchés (cf Ps 38, 2-6 ; 39, 7-12).

Dans cette dynamique, la maladie et la souffrance ne sont pas des négations de la bonté et de l’amour de Dieu ni des châtiments divins. Elles doivent plutôt être considérées comme des appels à la conversion (cf. Ps 38,5 39,9 39,12) car elles peuvent aider l’homme non seulement à centrer sa vie sur l’essentiel et à rechercher Dieu de tout son cœur. Ce retour au Seigneur peut alors lui valoir la guérison (cf. Ps 32,5 107,20 Mc 2,5-12). La pandémie du Covid-19 pourrait aussi être comprise dans ce sens comme un appel à un retour radical vers Dieu.

 

La maladie, épreuve de la foi de l’homme

Une autre compréhension non moins importante est à prendre en considération quand la maladie ou la souffrance frappe des justes tels que Job ou Tobie. L’histoire de ces deux personnages bibliques montre que, contrairement au courant de pensée qui lie péché et maladie, l’homme peut faire aussi l’expérience de la maladie sans avoir péché. Quel sens peut-on donc donner à la maladie dans cette situation ?

Dans de pareilles circonstances, la maladie et la souffrance doivent être prises comme une épreuve providentielle destinée à éprouver et à purifier la foi, la persévérance et la fidélité de l’homme à l’égard de Dieu. La figure de Job est très parlante à ce propos. Elle joue deux rôles : d’une part devant l’homme et d’autre part, devant Dieu. En effet, face à ses amis qui essaient de le convaincre de demander pardon pour ses péchés, Job témoigne de sa foi en Dieu, malgré et contre les apparences évidentes de la sagesse humaine. Face à Dieu, il témoigne du caractère inhumain de la souffrance et lui parle comme Jésus à Gethsémani. La leçon principale et permanente qui se dégage du livre de Job est qu’en face des grandes douleurs, il faut s’en tenir au silence respectueux de Dieu et en la fidélité à ses commandements[1]. Face au mal du Covid 19, le chrétien est donc appelé à vivre comme Job : garder sa foi en Dieu et respecter le silence et l’apparente inaction de Dieu dans sa réaction contre la pandémie. A l’instar des justes de la Bible et des grands saints comme Saint Ignace, Saint Thérèse de l’enfant Jésus, Saint Jean Paul II qui ont souffert de la maladie, il doit accepter que la raison humaine n’a pas toujours la clé de lecture ou la connaissance nécessaire pour saisir tout le sens du mystère du mal. Du reste, il doit se convaincre que l’amour de Dieu demeure toujours inépuisable, fidèle et au-dessus de toute réalité ou de tout mal, car « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20).

 

La maladie, signe et instrument d’amour et de salut

Le dernier élément à prendre en considération dans la compréhension chrétienne de la maladie en général et du Covid 19 en particulier, se trouve dans son lien avec la Passion du Christ. La tradition de l’Eglise enseigne que l’épreuve de la maladie est aussi une participation à la souffrance du Christ. Elle configure le chrétien à la passion du Christ. Elle a alors une portée salvifique pour le malade lui-même et pour les autres. En effet, la passion du Christ n’a pas été une épreuve stérile, « gratuite », sans fondement ni objectif. C’est pour les hommes et le monde que le Christ a souffert afin d’apporter à toute l’humanité le salut.

Dans cette lancée, l’Eglise confesse que le malade qui associe sa souffrance à celle du Christ, reçoit non seulement soulagement, réconfort et pardon de ses péchés, mais aussi obtient le salut de ses frères. La maladie est alors perçue dans ce sens comme quelque chose de bénéfique, comme une prière de supplication au profit des autres, comme une expiation des péchés, comme un sacrifice agréable aux yeux de Dieu, comme un don de sa vie pour les autres, comme « une épreuve qui apporte des fruits de salut ».

Le chrétien est alors appelé, en ce temps de Covid 19, à associer toutes les souffrances causées par cette pandémie à celle de Jésus. Ainsi, il lui sera alors facile de porter le joug de la pandémie dans la sérénité et surtout d’être utile aux autres en les portant dans la prière et en souffrant pour eux. Le Covid 19, à l’instar de la croix, peut être alors considéré comme un haut lieu d’expression de l’amour de Dieu pour les hommes car sur la croix, c’est la plénitude de l’amour de Dieu qui s’éclate pour l’humanité.

 

Note :

[1] Cf. Jean STEINMANN, Job témoin de la souffrance humaine, Cerf, Paris, 1969, p.113 et 120

 

Abbé Valery SAKOUGRI,
Vicaire à la paroisse de Pabré
BURKINA FASO